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ETUDES CAMEROUNAISES
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25 avril 2009

Patrice Nganang: les temoins de littérature de l'exil

L’écrivain camerounais vivant aux Etats-Unis s’exprime sur la place de la littérature dans la construction de la mémoire collective.Patrice_Nganang

Quel regard portez-vous sur la gestion officielle de la mémoire des écrivains camerounais disparus?

Il faut d’abord préciser que notre littérature est très jeune, surtout celle écrite en français et en anglais.

Elle est l’une des plus jeunes d’Afrique et même de la terre, elle qui n’a qu’à peine soixante-dix ans. Or soixante-dix ans, c’est l’âge d’un être humain, ce n’est pas l’âge de la mémoire. Notre Etat, lui, est encore plus jeune, plus jeune que notre littérature d’ailleurs. Ce que je veux dire c’est que nous sommes en train de bâtir en même temps notre Etat et notre mémoire collective. S’il y a problème, ce n’est pas tellement l’irrespect de l’Etat devant nos auteurs disparus à qui l’on aurait souhaité que l’Etat bâtisse un panthéon certes. Le problème le plus sérieux est ailleurs, car selon moi la place de l’écrivain est citoyenne, et pas dans les poches de l’Etat. Qui sait d’ailleurs si tous les écrivains accepteraient les honneurs et la sanctification officiels? N’oublions par exemple pas que la famille de Mongo Beti avait refusé de recevoir une médaille de Biya ! Le problème le plus sérieux est que le patrimoine littéraire camerounais a été dilapidé par les auteurs eux-mêmes, faute de mieux. Bref, notre littérature ne nous appartient pas. Les droits des œuvres de Mongo Béti, Francis Bebey, Ferdinand Oyono, Mbella Sonne Dipoko, Leonora Miano, Eugène Ebode et de tous ceux qui ont publié leurs textes en France, en Angleterre ou ailleurs en Occident, appartiennent aux éditeurs occidentaux, voilà le problème. Que peut faire l’Etat camerounais ici quand il est manchot devant des droits qui appartiennent à la France ? Peut-on parler de gestion de la mémoire quand le patrimoine déjà ne nous appartient pas? C’est comme si l’on voulait donner en héritage à ses enfants une maison dans laquelle on a vécu soi-même en locataire. Cela comme on le sait, est impossible.

En ce début de siècle, nous avons assisté à l’effondrement de nos colonnes littéraires. Les enfants qui naissent et grandissent au Cameroun les connaissent à peine. N’est-ce pas tragique?

N’exagérons tout de même pas! La littérature n’est pas le football. Elle agit sur les consciences dans la longue durée, quand le football est éphémère. Comparons Mbappe Lepe qui tapait dans le ballon durant les années soixante, et Mongo Beti qui écrivait depuis les années cinquante ; mesurons la dimension de l’adulation de Mbappe Lepe à l’époque avec sa presque totale disparition de la mémoire collective aujourd’hui. Nous pouvons donc d’emblée dire ce qui arrivera aux Samuel Eto’o et Roger Milla qui sont nos stars aujourd’hui, paraît-il. La mémoire d’un peuple, selon moi, c’est aussi la longue durée, et pas seulement la présence obsédée à la télévision. Le travail de la mémoire est une bataille ardue qui n’est pas rectiligne, mais souterraine. Elle est de longue durée car elle inclue le patrimoine, et le patrimoine littéraire est intellectuel, donc virtuel. La mémoire est souterraine car elle est comme le sang. Le sang se transmet des parents aux enfants, mais ne se voit pas. N’oublions pas qu’en soixante-dix ans de littérature, nous en sommes encore à deux générations d’écrivains camerounais. Il est impossible de mesurer ce dont nos enfants et petits-enfants choisiront de se souvenir.

Pourquoi les écrivains de la diaspora n’ont-ils pas été entendus de façon décisive jusqu’ici dans un combat organisé pour l’entretien de la mémoire des écrivains disparus ?

Au contraire, sans les écrivains qui vivent à l’extérieur du Cameroun, notre littérature n’existerait pas. Soyons sérieux! Elle n’aurait pas seulement été étranglée par la colonisation, qui, ne l’oublions pas, avait interdit l’écriture de Njoya ; elle aurait été asphyxiée par Ahidjo qui après tout à poussé beaucoup de notre intelligence à l’exil quand il ne l’a pas tuée, sans parler de Paul Biya. Le passage du témoin de notre littérature, le travail de mémoire des œuvres, qui se fait d’abord d’auteur en auteur, d’écrivain en écrivain, d’œuvre en œuvre a bien eu lieu en grande partie grâce à l’exil des auteurs qui nous a permis de sauver les meubles. La preuve, aujourd’hui, l’on parle de Leonora Miano quand, hier, on parlait de Calixthe Beyala ou de Thérèse Kouoh Moukouri avant elles. Voilà le travail de mémoire, de mémorisation littéraire, si vous voulez, le plus important travail, qui est le passage du témoin. Cela est fait. Les auteurs jeunes lisent leurs aînés, les émulent ou les critiquent et les dépassent. La littérature se souvient d’elle-même, et ainsi elle survit. Le reste, les bâtiments, les statues, les médailles, les noms sur les bâtiments et autres sont des épiphénomènes sans ce travail interne de la littérature qui se souvient.

Selon vous, que faut-il faire pour sauver le patrimoine et le legs de ces grandes figures de notre histoire?

Voilà la question que je me pose tous les jours, et celle-là, je crois, peut facilement être répondue par les éditions Clé, par exemple, qui, actuellement, sont la plus vieille structure de l’édition dans le monde francophone africain, une structure panafricaine de surcroît et très respectée. C’est une question de droit : qui a droit à notre littérature ? A quoi bon encourager des travaux de recherche sur des auteurs quand ces travaux ne peuvent qu’être bidons, étant donné l’absence des œuvres elles-mêmes chez nous? Peut-on cuisiner dans une marmite sans fond ? Nous avons toujours l’habitude de mettre la charrue avant les bœufs. Ce qu’il faut d’abord faire, selon moi, c’est encourager les auteurs à faire leur intelligence retourner à la maison. Ce travail de retour du patrimoire, bref, des droits des œuvres publiées, ou alors cette demande de partage des droits avec l’Occident est faite ailleurs en Afrique. Les premiers manuscrits de Mongo Beti, Ferdinand Oyono, qui sont éparpillés partout à Paris, devraient être collectés, ramenés chez nous, et mis à la disposition des chercheurs qui ne les ont parfois jamais vus, bien qu’ils écrivent des mémoires sur Beti et Oyono. Tenez, par exemple, il y a quelques années, l’université de Bayreuth voulait acheter tous les manuscrits que j’ai écrits en Allemagne, au total cinq livres. Cette pratique est courante d’ailleurs en Occident qui, en terme de gestion du patrimoine et donc de la mémoire a la visée très longue. Or, avec Internet, il est si facile de publier des livres au Cameroun quand on est à l’étranger, et donc, de maintenir chez nous les droits de gestion de notre patrimoine et de notre mémoire. Ce qui est déjà possible aujourd’hui le sera encore plus demain. Notre littérature étant très jeune, c’est le temps d’encourager le retour de notre intelligence à la maison. C’est un effort minimal pour lequel l’auteur n’a même plus besoin d’habiter physiquement au Cameroun, la mémoire étant virtuelle. On aura ainsi sauvé le patrimoine de nos auteurs de demain. Et donc, notre mémoire. N’oublions pas que notre littérature a plus d’avenir que de passé.

Maurice Simo Djom

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