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ETUDES CAMEROUNAISES
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18 juillet 2009

FABIEN EBOUSSI BOULAGA ou la liberté de penser

Eboussi_BoulagaUn philosophe camerounais célébré de son vivant

La communauté intellectuelle va célébrer les 24 et 25 juillet prochains, l’un des penseurs africains contemporains les plus pénétrants. Ce sera à l’Université de Yaoundé I.

On croit rêver. Parce que jusque-là, on n’avait pas encore vu un tel évènement au Cameroun. Un intellectuel, un vrai, dissident du régime en place, célébré au vu et au su de tout le monde dans une université d’Etat ? De mémoire de journaliste qui a vécu les plus grands moments de l’histoire récente de la démocratisation du Cameroun (1990-2009), les journées d’études consacrées au professeur Fabien Eboussi Boulaga, feront certainement partie de l’inédit. « Un évènement exceptionnel », comme l’annonce le professeur Ambroise Kom, bien connu des universités camerounaises, françaises, allemandes, et américaines. Déjà au début des années 90, le professeur Ambroise Kom avait eu « la témérité » d’inviter et de faire venir en conférence au Cameroun, Alexandre Biyidi Awala, dit Eza Boto, dit Mongo Beti, le plus grand écrivain camerounais, de regretté mémoire et « le pape des opposants camerounais », comme l’appelaient alors la presse hexagonale. La conférence publique qui devait avoir lieu à l’hôtel Hilton de Yaoundé, avait malheureusement été interdite par les tenants du pouvoir du président Paul Biya. Mongo Beti qui remettait les pieds au Cameroun après plus de 40 ans d’exil s’est ainsi retrouvé à s’adresser (dans la clandestinité) aux jeunes étudiants et autres hommes politiques et de culture venus à sa rencontre dans une petite bibliothèque de l’Avenue Kennedy. Avant lui, pratiquement aucun intellectuel sérieux, qui a eu le courage de prendre du recul avec le système politique dominant au Cameroun n’avait pu s’exprimer publiquement au Cameroun. Après lui, l’ouverture du système, sous la forme de ce qu’un politologue camerounais a appelé « démocrature » a permis quelques gorges chaudes des « intellectuels ». Mais la plupart, se sont illustrés comme étant en fait ce que le professeur Eboussi appelle à juste titre « ventriloques ». C’est-à-dire quelques diplômés, qui pensent que pour avoir été à l’université, dans les grandes écoles, ou par le fait qu’ils y enseignent, ils ont droit à quelques strapontins au sein de l’appareil politique dominant. Jamais, mais alors jamais, cette conception de l’intellectuel n’aura été celle du professeur Eboussi Boulaga. Reconnu comme philosophe, théologien, politologue, littéraire de formation et de profession, mais davantage comme « éclaireur de l’intelligence », pour reprendre une expression d’un de ses étudiants de nationalité ivoirienne, le professeur Eboussi est de ces hommes d’esprit que le Cameroun n’a pas conscience d’avoir la chance d’avoir. Mais que, hélas, beaucoup de pays africains envient au Cameroun de l’avoir comme fils. Les journées d’études à lui consacrées, et dont le professeur Kom en est le principal initiateur, laissent planer quelques doutes dans les esprits. Notamment sur leurs tenues effectives. Parce que en fait, un homme comme Eboussi Boulaga, pour ceux qui nous gouvernent actuellement, apparaît comme un dissident qu’il faudrait absolument garder dans l’isolement. A défaut de pouvoir l’apprivoiser comme la plupart des universitaires qui ont rejoint le système ambiant. On connaît tous les ouvrages flamboyants du professeur Eboussi. De « La crise du Muntu » à « Lignes de résistances », en passant par « Christianisme sans fétiches », « A contretemps », « Démocratie de transit », et bien d’autres, l’ancien professeur de l’histoire de la philosophie à l’ex -Université de Yaoundé, a toujours pris le contre-pied de ce que l’on croire être « Le vrai », et que l’on veut établir comme principe de vie pour tous. Dans une société où l’accès au pouvoir semble se nicher dans les multiples célébrations des mœurs lucifériennes, on en est à se demander si le système en place au Cameroun pourrait, au-delà de toutes vraisemblances, autoriser la célébration de son vivant, d’un homme aussi libre d’esprit que Eboussi Boulaga. Si par contre, l’autorisation est donnée, ne va-t-on pas marginaliser ce processus, en créant tout autour une espèce de mystification politique et psychologique qui effrayerait la jeune génération qui a besoin de comprendre les enjeux de la pensée de Eboussi Boulaga ? Au final, la préoccupation la plus profitable devrait à notre sens résider dans le bienfait de l’idée lumineuse qu’a eu le professeur Ambroise Kom de mettre en études, pendant deux journées, le professeur Eboussi Boulaga. Le thème général de ces deux journées, « Fabien Eboussi Boulaga ou la liberté de penser » devraient en fait permettre aux participants, non seulement de relire avec un maximum de lucidité à travers les différents axes l’ensemble des œuvres de cette mine précieuse qu’est Eboussi Boulaga, mais aussi d’apprendre à penser juste l’avenir et le Cameroun de demain.

Ambroise Kom : Entretien « Eboussi Boulaga est un modèle endogène »

L’organisateur de l’hommage s’explique.

Qu’est-ce qui fonde sur le plan scientifique l’hommage rendu au professeur Eboussi que vous organisez?
Ce n’est pas un élément précis mais plusieurs raisons qui fondent l’hommage que nous rendrons à Fabien Eboussi Boulaga ces 24 et 25 juillet 2009 à l’amphi 700 de l’Université de Yaoundé ou Eboussi fut enseignant pendant de nombreuses années. Comme enseignant de philosophie, il a formé de nombreux étudiants qui lui sont reconnaissants pour son immense savoir, pour sa pédagogie, sa manière d’être et pour le type de direction dont ils ont bénéficié auprès de lui lorsqu’ils ont choisi de se lancer dans des recherches plus approfondies. Fabien Eboussi est aussi un théologien dont les travaux dans ce domaine, Christianisme sans fétiche (1981), A contretemps, L’enjeu de Dieu en Afrique (1991) sont reconnus tant ils ont marqué et même passablement secoué de nombreux esprits de par le monde. Eboussi est donc un penseur dont les publications font autorité dans son/ses domaine(s) de spécialité. Près de trente ans après sa publication, La crise du Muntu (1977) vient d’être traduit en italien. Cet ouvrage marque un tournant dans la pensée philosophique africaine. Bien plus, ses travaux en sciences sociales sont fondamentaux pour la compréhension des diverses mutations que nous connaissons au Cameroun et en Afrique. Il n’y a qu’à lire Les Conférences nationales en Afrique, une affaire à suivre (1993), La démocratie de transit (1997) sans compter les lumineuses études qu’il publie dans les journaux (Lignes de résistance, 1999) et dans la revue Terroirs qu’il dirige depuis près de vingt ans. Pour moi, Fabien Eboussi Boulaga est un travailleur intellectuel et un modèle du genre. Il nous apprend à nous remettre constamment en question tant il est vrai que sa pensée ne prend point des modalités évangéliques mais se déploie plutôt comme une série d’interrogations, d’invitation à la réflexion. Je crois que nous devons apprendre à apprécier ce genre de démarche et à célébrer pareille icône.

Dites-nous un peu comment vous percevez le personnage Eboussi Boulaga…
Quand on lit Eboussi ou quand on le regarde vivre, on se demande nécessairement de quelle planète il descend. Est-il véritablement Camerounais ? Il nous ressemble si peu, nous autres qui aimons tant faire étalage de notre improbable savoir, nos prétendues réalisations, nous qui aimons user et abuser de nos relations pour nous positionner et ne manquons jamais la moindre occasion pour nous mettre en scelle, nous positionner. Dans un environnement où l’éthique est rangée dans les musées, découvrir quelqu’un qui mène une vie d’ascèse relève totalement de l’inattendu, voire de l’irréel ! Mais c’est tellement rassurant.

Connaissant la trop grande modestie intellectuelle du professeur Eboussi, et les frustrations qu’il peut avoir vécu au Cameroun, pensez vous qu’il apprécierait cet hommage qui lui est rendu dans une université camerounaise ?
Je vous laisse libre de votre jugement mais je doute qu’Eboussi vive en citoyen frustré. Ce que vous lisez correspond à votre perception des choses. Sans doute avez-vous raison dans une certaine mesure. Lorsqu’on compare ses réalisations à celles de certains autres et lorsqu’on compare le train de vie de ces autres au sien, on pourrait lui prêter nos yeux pour pleurer. Mais rassurez-vous, Eboussi tel que je le perçois n’est point une pauvre hère en quête d’apitoiement. Il doit certainement souffrir de toutes sortes de privations comme tout un chacun mais il n’en fait pas un souci de chaque instant. S’agissant du choix de l’université camerounaise, sachez avant tout qu’il s’agit d’une université d’Etat et que l’Etat c’est un peu nous tous même si certains ont tendance à se l’approprier. Nous avions le choix d’aller dans d’autres institutions et même dans des sites privés. Ce colloque aurait aussi pu s’organiser à l’étranger. Mais nous avons choisi l’Université de Yaoundé 1 et l’amphi 700 pour son caractère symbolique justement. A mon avis, la production intellectuelle de Fabien Eboussi Boulaga se dresse comme un monument dont notre pays devrait s’enorgueillir. Et notre Etat devrait prendre soin de se l’approprier pour en assurer le rayonnement, aujourd’hui et demain. On entend souvent dire que dans cet environnement de violence morale, de jonglerie et de tricheries généralisées, de paresse intellectuelle érigée en norme et de détournement institué, nous avons besoin de modèles. En voilà un, endogène, qui nous interpelle. A nous de le méditer.


Par Entretien avec Jean François CHANNON
Le 13-07-2009

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