Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ETUDES CAMEROUNAISES
ETUDES CAMEROUNAISES
Newsletter
105 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 253 450
10 septembre 2008

LE GENOCIDE DE LA FRANCE AU CAMEROUN

Gaëlle Le Roy et Valérie Osouf : Messmer a voulu acheter Um Nyobe

Les réalisateurs du documentaire “Cameroun, Autopsie d’une indépendance” se sont confiés à icicemac.com

Ils évoquent les silences du général Semengue, les archives tenues au secret en France et la tentative de corruption rejetée par Ruben Um Nyobe.

Qu’est-ce qui vous a motivé à faire ce documentaire? Pourquoi le Cameroun en particulier plutôt qu’un des nombreux autres cas en Afrique? J’ai vécu au Cameroun adolescente dans les années 80. On sentait tous qu’il s’était passé quelque chose de terrible dont personne ne voulait parler. Etudiante en histoire et en géopolitique à la Sorbonne au début des années 90, après avoir obtenu mon bac à Dakar, j’ai découvert les premiers détails de cette histoire tue grâce aux ouvrages de Mongo Beti et François Xavier Verschave. En 2005, quand l’assemblée française a voté une loi sur les aspects positifs de la colonisation, il m’a semblé que face à une histoire officielle imposée, il était temps d’exhumer cette page d’histoire entre la France et le Cameroun. D’autant plus que certains témoins ou acteurs devenaient très âgés.

Quand avez-vous commencé votre enquête, sur le terrain? Et comment avez-vous procédé pour mener l’enquête en général, en particulier au niveau des témoins que l’on peut entendre au cours du documentaire? Les terrains d’enquête sont variés : des archives de l’armée française, aux témoignages oraux de camerounais et de français en France, des récits écrits, des entretiens avec Achille Mbembé, puis au Cameroun (2 mois de tournage en juin-juillet 2007), au téléphone également… c’est 2 ans et demi de travail, de recherches. Et avant cela, pendant des années, je conservais précieusement toute bribes de récit ou contacts dans un coin de mon ordinateur, pour le jour où… Ce travail de recherches indispensable, était enfin la meilleure façon de gagner la confiance de nos interlocuteurs.

Pouvez-vous nous dire quelles sont les sources de vos images et autre contenu d’archive?

Il n’y a pas ou peu d’images concernant ce conflit. Celles que j’ai montées dans ce documentaire sont tout ce que nous avons trouvé en 2 ans d’enquête, en cherchant sur plusieurs continents (de l’ancien bloc de l’est, aux Nations Unies, en passant par Conakry, Dakar, Le Caire…). Quelques rares images sont issues de fonds d’archives privées. Les autres proviennent de fonds classiques Pathé Gaumont, Reuters…

Avez-vous rencontré des difficultés, tant aux niveaux administratif que logistique durant la poursuite de votre enquête? Cette pénurie d’images fut une des difficultés majeures. La deuxième étant le tabou qui subsiste autour de ce conflit. Beaucoup, beaucoup de témoins ou acteurs sur le terrain, des deux côtés, français et camerounais, ont refusé de parler devant une caméra. Voire de parler en off. Ce film aurait pu s’appeler ” Il ne s’est rien passé au Cameroun ” comme nous l’avons entendu à maintes reprises durant l’enquête… Le contenu est assez dur pour les yeux et les oreilles car il décrit une réalité autant triste que révoltante.

A quel moment avez-vous été le plus choquées lors du montage de votre dossier?
On est choqué sur toute la période de ce dossier, par la violence démesurée, le décalage du rapport de force, la volonté perpétuelle d’éradication absolue, et le silence qui l’entoure.

De toutes les entrevues passées au cours du documentaire, laquelle vous a le plus marqué? Pourquoi? La femme et le fils d’Um Nyobé, Tella Oumar, Bernard Kamto, Mathieu Njassep…, tous anciens militants ou combattants de l’UPC sont des rencontres très fortes. Moukoko Priso ou Abel Eyinga également. Pierre Messmer et le général Semengue aussi, pour d’autres raisons évidentes.

Avez-vous conscience que l’information que vous rapportez dans ce documentaire n’est pas connue de la majorité des jeunes camerounais, pour la simple raison qu’elle n’est pas enseignée en détail à l’école camerounaise, sachant que plus de 56% de la population a moins de 20 ans? C’est une histoire taboue et méconnue des deux côtés encore une fois, en France comme au Cameroun. Les jeunes collégiens et lycéens français apprennent eux aussi toujours qu’à l’exception de l’Indochine et de l’Algérie, la France, dans sa grandeur, a décolonisé pacifiquement en Afrique subsaharienne. Or le seul cas du Cameroun infirme cette thèse. Seules les révoltes de Madagascar à la fin des années 40 sont présentes dans certains manuels scolaires. Comme les guerres des ex colonies… mais portugaises ou belges…

Concernant le gouvernement français, avez-vous rencontré des difficultés particulières dans la recherche et l’obtention d’informations? Pour quel élément en particulier?
Beaucoup d’éléments restent classés secret, voire très secret. Les archives n’ont pas encore livrés toutes les informations. Des demandes de dérogation qui prennent plusieurs mois, aboutissent à une ouverture partielle des archives, aussi bien à l’armée, qu’aux renseignements généraux, qu’aux archives nationales concernant les fonds Foccart. Quant aux archives iconographiques, la récolte reste donc très très mince. Alors même que sur certains documents, il est signifié que des photos ou des films sont faits. Mais personne ne sait où les trouver… Les dossiers de la gendarmerie sont peut être les moins accessibles.

À votre avis, l’opinion publique Française sera-t-elle émue, scandalisée ou indifférente à votre œuvre?

Les trois, selon l’orientation des uns ou des autres depuis la diffusion.

Le Cameroun est communément reconnu, tant sur place que partout ailleurs comme ayant été une “Colonie Française”. Pourtant, comme on le voit clairement dans votre documentaire, les textes stipulent que le Cameroun est plutôt sous tutelle Française, sur mandat de la SDN à l’époque. Que pensez-vous de cette manipulation de langage? Qui selon vous en est responsable? Le mandat de la France au Cameroun, comme au Togo d’ailleurs, est justement spécifique. C’est même le fondement du combat d’Um Nyobé, qui s’appuie sur des arguments juridiques pour contester l’administration française telle qu’elle s’applique sur son territoire. La France n’a légalement pas le droit d’administrer le Cameroun comme une colonie, puisqu’elle n’en est pas une. Sa confiance en la communauté internationale est telle qu’il est convaincu qu’il finira par avoir gain de cause en s’appuyant sur le droit. Mais en pleine guerre froide, la France instrumentalise le risque de basculement dans le camp communiste de ses ex-colonies et obtient ainsi un blanc-seing de cette communauté internationale pour intervenir comme elle le souhaite. Quant à l’époque coloniale, le documentaire l’évoque en parlant des réalités subies par les populations à travers les travaux forcés, les déplacements de main d’œuvre, le code de l’indigénat et non pas, à travers les grands travaux de routes, ponts et ports ou autres campagnes de vaccination…

Selon un article paru dans Le Monde, en ligne, le 26 juin dernier, il y a un ras-le-bol de la France très palpable en Afrique, et ce même au niveau des nouvelles générations. Que pensez-vous de ce constat? Je n’ai pas lu cet article mais oui, un ras-le-bol certain d’une domination économique, à travers certains monopoles qui perdurent. Une indifférence aussi d’une jeunesse qui n’est plus fascinée par l’ancienne puissance tutélaire, où il est devenu impossible ou presque d’aller étudier par exemple et qui se tourne ainsi vers les USA, le Canada etc. Un titre de Tiken Jah Fakoly, ” Y en a marre ” sur son album Françafrique, avait connu un grand succès il y a quelques années déjà.

Concernant les leaders de l’UPC, en particulier Um Nyobe, parleriez vous d’héroïsme ou de manque de réalisme, autrement dit, pensez vous que donner sa vie pour la liberté soit utile en fin de compte? Le combat politique, légaliste, nationaliste (unioniste même) et pédagogique d’Um Nyobé est héroïque. L’administration française a tout tenté pour le dévoyer sans y parvenir. Messmer lui-même en parlait avec un certain respect une fois la caméra coupée. Il lui a envoyé des émissaires, avec beaucoup d’argent à la clé, sans résultats. L’histoire retient que sa foi en la communauté internationale était un peu naïve. Pour certaines élites camerounaises, qui admettent toutes avoir été upéciste même 5 minutes, quand elles ont entendu cette revendication d’indépendance pour la première fois, il était irréaliste de s’opposer à la France. Um Nyobé a choisi de donner sa vie à son combat. Si la jeunesse le redécouvre, le relit et réapprend son histoire, alors son combat n’aura pas été totalement vain. Sur les risques liés à toute forme de ” tribalisme ” puisque c’est la terminologie de l’époque qu’il utilise, ses écrits restent très contemporains.

Que pensez vous du silence général sur le génocide Bamiléké avec usage d’armes de destructions massives, dont du napalm, l’empoisonnement de Felix Moumié, la profanation de sa tombe 20 ans plus tard, l’acquittement de l’agent William Bechtel qui a revendiqué ce meurtre, la mort de plus de 300 000 personnes après la dite indépendance, la conspiration en toute impunité pour l’assassinat de Um Nyobé, Ernest Ouandié, et bien d’autres, que ce soit au niveau des autorités Françaises, Camerounaises, ou internationales (Union Africaine, ONU, etc.)?
L’état actuel de la recherche historique ne permet pas pour le moment de parler de ” génocide ” bamiléké. L’Upc était constituée de militants et sympathisants de toutes les régions du Cameroun, d’abord pourchassés en tant que tels, quels que soient les origines. La population bamiléké est en effet stigmatisée, dans les archives de l’armée, le fameux ” caillou dans la chaussure de la France ” comme l’écrit un officier, Lamberton. Le bilan des victimes reste aujourd’hui impossible. Beaucoup de travail, de recherches restent à faire. Il n’en demeure pas moins que cette région ait été, dans le deuxième temps du conflit, la plus durement et la plus violemment décimée par les armées françaises, puis camerounaises. Dans cette région de l’Ouest, la lutte de l’UPC elle-même a été débordée par des règlements de compte et des violences inhérentes à tout conflit de ce type.

Comme le dit l’adage, “rendez à César ce qui est à César”. L’UPC, Union des populations du Cameroun, était un exemple d’unité nationale, car ses dirigeants étaient issu d’ethnies à travers le territoire (Bamoun, Bassa’a, Bamiléké, etc.). C’est une belle image dans le contexte actuel de guerres interethniques dans plusieurs régions d’Afrique. Selon vous, leur œuvre a-t-elle été suffisamment reconnue, et honorée tant au plan national qu’international? Il faut vraiment lire et relire les écrits d’Um Nyobé, à la disposition de tous, grâce au formidable travail d’Achille Mbembé. La France puissance coloniale a toujours joué du ” diviser pour mieux régner ” tel que le Maréchal Lyautey l’avait théorisé : ” S’il y a des mœurs et des coutumes a respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit, en opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres. ” Dès qu’un conflit africain est évoqué, il est souvent réduit à une expression dite ethnique. Nous avons tous intérêt à nous plonger dans l’histoire passée et présente pour éviter ces simplifications.

C’est connu, réaliser un tel documentaire comporte assurément des risques épineux. Avez-vous eu des problèmes (intimidations, menaces, etc.) après la sortie de votre documentaire?

Non.

L’Assassinat de Félix Moumié, réalisé par Frank Garbely, est un documentaire qui relate les faits de cette conspiration. L’avez-vous regardé? Qu’en pensez-vous?
Toute tentative sérieuse pour lever une partie du voile qui concerne cette guerre est la bienvenue. C’est le cas du film de Garbely. Au vu de la teneur du film, il apparaît que vous avez encore de nombreux faits à nous dévoiler, on peut donc pressentir une suite. Prévoyez-vous de nous en dire plus? Pourriez-vous nous donner le goût du contenu et des points principaux que vous couvrirez? La suite de ce travail appartient à tous, étudiants, chercheurs, journalistes etc. J’ai rencontré de jeunes étudiants camerounais qui dés leur Deug en histoire, mettent leurs études à profit pour enquêter sur le terrain. Il faut recueillir les témoignages, villages par villages, hameaux, après hameaux, en s’appuyant sur les sciences historiques, dans le cadre du témoignage oral, continuer à explorer les archives, recouper les informations… En ce sens, ce documentaire, comme des recherches déjà menées (Achille Mbembé encore une fois, Richard Joseph, Noumbissie Tchouaké et beaucoup d’autres) est une introduction, de nombreuses questions subsistent de parts et d’autres. Des groupes de chercheurs essaient de se constituer entre la France et le Cameroun pour faire avancer l’étude de cette page d’histoire.

Jusqu’à quel point l’action de la France au Cameroun pousse-t-elle à effectivement s’interroger sur le sens de ces valeurs? Je crois que la réponse est contenue dans la question suivante de Moukoko : “On ne peut pas en faire une tornade dans un verre d’eau, parce que quelques nègres ont été massacrés…C’est quand même quelque chose qui pousse à réfléchir sur le sens de ce qu’on appelle la mission civilisatrice, l’amour de la démocratie, la liberté, les droits de l’homme etc. C’est les droits de quels hommes en fait?” Elle en fait toute sa force. Tous les morts ne comptent pas pareil. Une des formes de racisme parmi les plus violentes… Depuis la première mouture du montage, je l’ai toujours placée comme mot de la fin. Au-delà de l’exploration des faits, c’est la question fondamentale qui sous-tend ce travail et la volonté d’exhumer cette tragédie, comme avant elle, la domination et l’occupation coloniales.

Entrevue réalisée par Stella Dang et Steve Abouem. Source : www.icicemac.com

Publicité
Commentaires
K
Merci pour le documentaire. l'éveil du peuple camerounais et plus particulièrement des jeunes commencera par la révélation de la vérité. il est tant que nous prenions conscience des souffrances et atrocités que nos parents on subit afin de luter pour la même cause.
Publicité
ETUDES CAMEROUNAISES
Publicité