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ETUDES CAMEROUNAISES
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18 mars 2008

CAMEROUN:LA MAIN DES COMPLOTEURS

" Déclaration " du président : Le discours du complot, antichambre du totalitarisme ?

Voir derrière tout mouvement social débouchant sur une grève, la main de comploteurs, c'est s'engager à élaborer
une doctrine du complot permanent, et tracer la voie pour " l'institutionnalisation de la légalité d'exception ".
Par Romuald Nkoulou*

Il n'y aurait donc pas de problème social au Cameroun, un malaise social que les camerounais peuvent exprimer par eux-mêmes; il y aurait seulement des manipulateurs tapis dans l'ombre, des spécialistes de l'instrumentalisation, de l'intoxication, des anti- patriotes et assoiffés de conquérir le pouvoir par les moyens non démocratiques, etc. Le Président de la République et ses conseillers, n'ont donc rien trouvé de mieux que de servir cette bonne vieille recette du complot et du bouc émissaire pour analyser la secousse sociale vécue ces derniers temps, dans un environnement marqué, certes, par le débat sur la révision de la Constitution. La thèse du complot, de la conspiration, est généralement la thèse des pouvoirs politiques autoritaires ou tentés par la dérive autoritaire, rétifs à toute critique structurée, incapables de se convertir à la gestion de la liberté et du pluralisme dans une société d'hommes libres, une société de citoyens soucieux de peser sur la marche de leur société ; c'est le réflexe des pouvoirs politiques qui, à force d'avoir la manipulation comme technique de régulation socio - politique, finissent par voir la manipulation partout, comme si dans un Etat que l'on se plaît à présenter comme un Etat de droit, dans un Etat démocratique, tenter de capitaliser politiquement sur les mouvements sociaux est un crime !

La thèse du complot traduit la fébrilité d'un pouvoir qui, se sentant comme assiégé, au sens propre du terme, fait flèche de tout bois, faute d'argument pour convaincre véritablement l'opinion. Et voilà que, sur une question de revendications sociales légitimes, l'on se retrouve avec un lexique politique des années 1960 ou 1970, dans la bouche d'un Chef d'Etat qui entend conduire la modernisation du pays et, pour cela, travaille résolument à la possibilité juridique d'avoir un énième mandat, en tripatouillant la Constitution. Non, ce n'est pas là où l'on pointe le doigt que se trouve la volonté de manipulation ; c'est bien du côté du pouvoir. C'est de ce côté que l'on a senti la volonté déterminée de manipuler, d'amalgamer tout au long de la gestion de la crise, tout en accusant d'amalgame les autres.

L'entreprise éhontée, relayée complaisamment par des médias un peu trop serviles, consistant à accuser une main invisible derrière des problèmes réels liés au mal vivre généralisé, n'a abusé personne. Qui a intérêt à ce que la thèse d'une main obscure derrière ce que l'on a vécu ces derniers jours soit accréditée? A qui sert la thèse du complot ? Le Président Biya et ses conseillers se trompent d'époque et de méthode.
Le temps de la démocratie n'est pas le temps du parti unique ; il exige l'adaptation à d'autres modes de régulation du politique et du social. Voir derrière tout mouvement social débouchant sur une grève, même dure, et des débordements collatéraux évidemment malheureux qui en résultent, la main de comploteurs, et comme le mouvement social n'ira que s'amplifiant au fur et à mesure que s'élargira l'espace de liberté, c'est s'engager à élaborer une doctrine du complot permanent, et tracer la voie pour le retour, que l'on pressent de manière sourde à travers plusieurs indices dans l'univers communicationnel notamment , vers ce que le Pr Owona Joseph, à l'époque du président Ahidjo, a appelé "l'institutionnalisation de la légalité d'exception".

L'accusation de complot atteint, ou vise à atteindre, à peu de frais, au moins quatre objectifs. D'abord jeter allègrement l'opprobre sur l'opposition et se dispenser ce faisant d'avoir à la considérer comme un interlocuteur dans la recherche des solutions aux problèmes du pays. Car on peine à voir le rapport entre ce qui se passait et la volonté pour cette dernière de prendre un pouvoir qu'elle n'avait pas obtenu par les urnes ! Ensuite lancer la chasse aux suspects et tièdes de l'intérieur du RDPC par rapport à la démarche de révision de la Constitution. Par ailleurs, jeter la suspicion d'antipatriotisme sur tous les citoyens critiques de la société civile. Enfin, face à tous ces " mauvais Camerounais ", se présenter et se dresser comme le rempart du Cameroun, le seul sauveur possible de la " nation en péril "… thématique providentialiste que l'on n'a pas hésité à entonner du reste ces deniers jours chez les thuriféraires invétérés du Président !

Non, Mr le Président, s'il y a des individus dont, de par les lois, il faut faire rendre gorge, qu'on le fasse, tout simplement, sans avoir à laisser entrevoir un comploteur en tout citoyen un peu critique de votre pouvoir ou de la manière dont les choses publiques sont gérées…; que l'on ne nous fasse pas croire que la galère - réelle- des foyers camerounais est le fruit d'une manipulation… Non, Monsieur le Président, vos conseillers, tapis (au sens propre du terme) dans les allées dorées et douillettes de votre pouvoir, ont compris l'intérêt qu'ils ont de vous conduire à l'abîme, en profitant de votre âge et de ce que vous n'avez plus comme il y a 15 ou 20 ans l'énergie suffisante pour suivre les dossiers de la République. Les vrais sorciers, ceux qui n'ont plus besoin d'apprendre le métier tellement ils en maîtrisent les ficelles, c'est à vos côtés que vous les avez, et non là où l'on distrait votre attention, précisément pour vous empêcher de les voir.

N'oubliez pas, Monsieur le Président, puisque après tout vous êtes issu de cet univers socio- anthropologique, la figure de cet être mystique que les Fang Béti appellent "Nneme ". Quand il apparaît avec sa bouche en feu d'un côté, cherchez -le plutôt de l'autre côté ; quand il vous donne l'impression d'être loin de vous, c'est qu'il vous est plus proche que vous ne le croyez ; quand il apparaît à droite, cherchez-le à gauche ! Méfiance, Monsieur le Président ! Que l'affaire de la suppression de la limitation des mandats ne vous amène pas à ruiner votre héritage pour ce pays. Si vous avez raison de dire que l'on ne bâtit pas une nation en multipliant les ruines, il y a des ruines qui sont plus destructrices que d'autres.
Car la ruine des biens matériels " publics " ou privés, que vous stigmatisez à juste titre parce que ces biens sont le fruit d'efforts, n'est rien, ou très fort peu de choses, à côté de la ruine, grave celle-là, de tout sentiment d'équité ou de justice, la ruine de la confiance d'un peuple vis -à -vis de ses élites dirigeantes, plus préoccupées de leurs ambitions de pouvoir perpétuel ou de jouir le plus longtemps possible des " avantages de toutes natures ", que de la survie dans un semblant de dignité des plus vulnérables de notre société.
Si la préservation des édifices et des biens matériels devait prendre le pas sur la préservation d'une éthique forte et vigilante de la gouvernance publique, sur le sort des plus précarisés de notre démocratie sociale, ce serait alors, comme l'a écrit le grand camerounais disparu, Mongo Béti, " la ruine presque cocasse d'un polichinelle "…

*Citoyen camerounais
Email : rnkoulou2006@yahoo.fr
QuotidienMutations 04 mars 2008




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