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ETUDES CAMEROUNAISES
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19 novembre 2007

LA SANTE AU CAMEROUN

La santé au Cameroun : politique sectorielle et Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP)

Mylène Lagarde
ASPROCOP
décembre 2003

Au moment où le Cameroun s'apprête à entrer dans l'année qui devrait le conduire au point d'achèvement de l'Initiative pays pauvres très endettés, et ainsi débuter le premier Contrat de désendettement/développement, il est intéressant de voir comment cette initiative, porteuse d'un nouveau cadre de politique de développement, mais aussi de nouveaux instruments de coopération pour la France, s'inscrivait dans la continuité des actions menées ou au contraire marquait une rupture par rapport aux orientations antérieures.


Le présent travail tente de caractériser à la fois l'évolution de la politique nationale camerounaise dans le domaine de la santé et de la politique d'appui français menée dans le secteur de la santé, tout en essayant de qualifier le (re)positionnement de la coopération de la France dans le cadre de l'Initiative pays pauvres très endettés, à travers ses futures modalités d'intervention.

La situation avant l'Initiative pays pauvres très endettés (IPPTE)

Une décennie perdue pour la santé

Sous l'influence de l'Organisation mondiale de la santé, le Cameroun est engagé depuis les années 1970 dans un processus de réforme quasi permanente de son système de santé, qui, suite à la crise économique qui débute au milieu des années 1980, est entré dans une phase critique.

Après la conférence d'Alma-Ata en 1978, le Cameroun avait ratifié la Charte de développement sanitaire de l'Afrique, qui faisait des soins de santé primaires la stratégie essentielle en vue d'atteindre l'objectif de « Santé pour Tous en l'an 2000 ». L'espoir suscité par cette nouvelle stratégie retomba assez vite, alors que survenait la crise économique à partir de 1985.

Entre 1985 et 1993, tous les indicateurs économiques passent au rouge, et le Cameroun a le triste record d'avoir été le pays africain à s'être le plus appauvri au cours de cette période. Dans le même temps le contexte politique connaît des remous intenses illustrés par une forte contestation du régime dès le début des années 1990. C'est pendant cette crise économique majeure et la recherche d'un nouveau sens politique que naît la politique sanitaire camerounaise.

L'organisation d'une politique sanitaire pendant la pénurie financière

Depuis une vingtaine d'années, le Cameroun s'associe à un certain nombre d'initiatives pour l'Afrique, avec les conférences de Lusaka (1985), d'Harrare (1987) et de Bamako qui jette les bases du recouvrement des coûts, et traduit progressivement ces orientations internationales par une série de grandes déclarations et de mesures réglementaires. Citons certaines étapes significatives du processus : la loi n°90/062 du 19 décembre 1990 accordant dérogation spéciale aux formations sanitaires en matière financière ; la Déclaration de politique sectorielle de décembre 1992 affirmant la volonté du gouvernement d'assurer une décentralisation réelle du pouvoir de décision en vue d'une gestion efficace ; la Déclaration de mise en œuvre des soins de santé primaires du 25 mai 1993 ; le décret présidentiel du 7 février 1995 portant organisation des services de santé de base en districts de santé ; la loi 96/03 du 4 janvier 1996 portant loi-cadre dans le domaine de la santé.

Cette dernière constitue la première véritable tentative pour définir une stratégie, une cohérence d'ensemble des actions à mener dans le domaine de la santé. Elle précise que la politique nationale de santé a pour objectif l'amélioration de l'état de santé des populations par l'accroissement de l'accessibilité aux soins intégrés et de qualité pour l'ensemble de la population, et la pleine participation des communautés à la gestion et au financement des activités de la santé.

Mais d'un point de vue macroéconomique, après la crise 1993-1994 on constate une baisse considérable des budgets sociaux. Le budget du ministère de la Santé publique, qui représentait environ 4 à 5% du budget national jusqu'en 1993-1994, tombe à moins de 3% les années suivantes. Bien qu'ayant augmenté en volume par la suite (forcément moins en termes réels en tenant compte de l'inflation), il ne peut répondre aux besoins d'une population qui augmente encore plus vite (1).

Evolution du budget du ministère de la Santé publique (tableau)

Une dégradation de la situation sanitaire

Le système de santé s'est donc progressivement organisé, mais à tous les niveaux, l'absence de ressources budgétaires suffisantes (2) a hypothéqué toute amélioration significative des services, notamment dans le service public.

De fait, les indicateurs de santé se détériorent rapidement comme l'atteste le tableau issu de deux enquêtes démographique et sanitaire réalisées en 1991 et 1998.

Evolution des indicateurs de santé de 1991 à 1998 (tableau)

Pour répondre à cette situation, le gouvernement camerounais élabore en 1998 un Plan national de développement sanitaire pour la période 1999-2008, « outil de planification et de plaidoyer qui précise à moyen et long termes les priorités, les objectifs et les stratégies susceptibles de corriger les insuffisances, les disparités, voire les incohérences observées dans le secteur ». Ce document est centré sur 3 objectifs :

  • décentralisation rendant les districts de santé (niveau périphérique) fonctionnels et plus performants par la recherche d'une meilleure complémentarité entre secteur public et privé (qui couvre près de 45% des besoins au Cameroun) ;

  • maîtrise de la progression du sida et des maladies endémiques avec un programme très décentralisé au niveau des districts ;

  • développement de la participation communautaire dans le financement de la santé (système de recouvrement des coûts, mutuelle de santé) ce qui se traduit entre autres par l'arrêté du 21 septembre 1998 fixant les modalités de création des structures de dialogue et de participation communautaire dans les districts de santé.

La politique sanitaire du gouvernement camerounais vise alors dans ses priorités à accroître l'accès des populations aux soins de santé de base, à favoriser la déconcentration (3) de la gestion du système sanitaire au niveau des provinces, avec l'intégration des grands programmes de lutte contre la maladie (sida, tuberculose, paludisme, santé reproductive). Les réformes veulent orienter progressivement le système vers davantage d'autonomie administrative et financière pour les établissements publics par la mise en place du système de recouvrement des coûts, le développement de la carte sanitaire prenant en compte le secteur confessionnel et l'amélioration de l'accès aux médicaments essentiels génériques de qualité pour les populations.

Centrée sur le district de santé, les maîtres-mots de la politique nationale déclinée en une douzaine d'orientations stratégiques sont donc « participation communautaire », « collaboration » entre secteurs public et privé, « mutualisation des risques », et « décentralisation » de la gestion.

L'adaptation de la législation sanitaire, en particulier pour le secteur hospitalier et pharmaceutique, la rationalisation de la gestion des infrastructures, des équipements et du personnel, la mise en place de systèmes d'information sanitaire performants complètent ces orientations.

Malgré cette déclaration d'intention, la mise en œuvre de la politique sanitaire dans l'ensemble des domaines traîne le pas (système d'information sanitaire, gestion des ressources humaines, environnement législatif, décentralisation, lutte contre les épidémies, coordination de l'aide internationale visant à un meilleur équilibre régional en matière de couverture sanitaire) au moment où le pays entame les négociations avec les institutions de Bretton Woods pour la révision de sa dette. Afin d'être éligible à l'Initiative pays pauvres très endettés, le Cameroun doit alors rédiger un Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) et une stratégie sectorielle pour la santé et l'éducation.

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L'action de la France avant le lancement de l'Initiative pays pauvres très endettés

Au cours des années 1990, la coopération française a peu à peu modifié son appui au système de santé camerounais pour se rapprocher des orientations de politique nationale, tout en restant proche du savoir-faire qu'elle avait longtemps développé à travers la mise en œuvre de projets particuliers. Elle a ainsi particulièrement concerné le secteur hospitalier (Hôpital central de Yaoundé, Hôpital général de Douala, Hôpital provincial de Garoua) du fait d'une demande des autorités camerounaises souhaitant développer un secteur hospitalier de haut niveau, qui faisait écho au savoir-faire français développé dans ce domaine. Elle a aussi apporté un appui au programme de lutte contre le sida, et à des laboratoires de recherche ou de santé publique (Organisation de coordination de la lutte contre les endémies en Afrique centrale, Centre Pasteur) et entamé un appui aux provinces dans le nord du pays.

Au Cameroun, la coopération française est longtemps intervenue principalement à l'Hôpital central de Yaoundé, réhabilitant et équipant ses services essentiels, passant progressivement d'une politique de substitution à une renforcement de capacités et d'organisation du système hospitalier. Le Centre Pasteur et l'Organisation de coordination de la lutte contre les endémies en Afrique centrale ont également bénéficié de l'appui de la coopération française : le Centre Pasteur, après sa restructuration, est ainsi devenu laboratoire de santé publique de référence, pour la tuberculose et le sida en particulier. Pendant longtemps, l'essentiel de l'Assistance technique française dans le domaine de la santé était affecté sur ces trois établissements (une dizaine à l'Hôpital central).

Dernier exemple de cette période charnière entre substitution et approche projet, le projet « Appui à l'amélioration de la sécurité transfusionnelle » (env. 450 000 € – 1991 à 1994) était ainsi essentiellement tourné sur le système hospitalier, apportant surtout un appui en équipement (réhabilitation et équipement de l'unité d'hématologie de la banque de sang du CHU, installation de matériel dans 7 hôpitaux provinciaux) et, de façon beaucoup plus mineure un renforcement de capacités (formation des techniciens responsables des laboratoires en collaboration avec le Centre Pasteur du Cameroun et l'Organisation de coordination de la lutte contre les endémies en Afrique centrale ; contribution à la définition de nouvelles stratégies de dépistage de l'infection au VIH et à l'initiation au contrôle de qualité).

Du fait de l'abandon progressif d'une politique de substitution et de la diminution de l'assistance technique présente dans le pays, les interventions françaises se sont ensuite progressivement diversifiées à travers l'approche projet, dans une volonté de leur donner une dimension plus large que les précédentes interventions, où l'Hôpital central était une structure (trop) privilégiée. On peut sans doute y voir aussi une mise en cohérence progressive avec la politique nationale et le mouvement de déconcentration affiché, notamment après la promulgation de la constitution de 1996. Toutefois cette mise en cohérence est longtemps restée timide puisque l'hôpital se trouvait presque toujours au cœur des dispositifs mis en place, même si ceux-ci dépassaient Yaoundé et si leurs objectifs affichaient pour cible le district.

Plus concrètement, la coopération de la France s'est alors inscrite autour de trois axes prioritaires :

  • poursuivre l'appui aux programmes de lutte contre les grandes endémies : sida, MST, tuberculose. Dans la continuité du projet sur la sécurité transfusionnelle et pour appuyer le démarrage difficile du Programme national de lutte contre le sida, un projet d'« Appui à la lutte contre le sida au Cameroun » (1,220 M€ – 1995 à 1999) est mis en œuvre. Toujours essentiellement axé sur les structures hospitalières (création d'un Hôpital de jour à l'Hôpital central de Yaoundé pour la prise en charge ambulatoire des malades, sortant ainsi de l'approche traditionnelle du rôle de l'hôpital), ce projet entame le début des actions déconcentrées de la coopération française dans les provinces du Nord avec des actions de prévention, d'information, d'éducation, de communication, de dépistage (surveillance sentinelle) et l'introduction du Programme de lutte contre la tuberculose dans la province du Nord.

  • appuyer la décentralisation de l'offre de soins et l'autonomie des structures de santé, en mettant l'accent sur la planification des activités, la formation des personnels paramédicaux, avec l'intégration des programmes nationaux à l'échelon du district sanitaire. Le projet de « Renforcement du système de santé dans la province du Nord » (1,220 M€ – 1996 à 2001) constitue une tentative pour se mettre en cohérence véritable avec la politique sanitaire nationale et ses velléités de déconcentration, en appuyant la mise en place d'un cadre cohérent intéressant la totalité du système provincial de santé (soutien de l'hôpital provincial mais aussi renforcement des capacités de formation et de supervision de la Délégation provinciale, élaboration des outils de monitoring des Centres de santé et des Hôpitaux de districts, appui aux formations sanitaires périphériques).

  • assurer le renforcement des services publics urbains en matière de santé en appuyant notamment le partenariat hospitalier, la complémentarité entre les structures hospitalières et l'amélioration des filières et la qualité des soins. L'objectif affiché étant de « réorienter l'action vers les districts et les soins de base tout en s'appuyant sur l'Hôpital central comme pôle de référence », grâce à deux projets : Santé urbaine dans la ville de Douala, 600 000 €, 1997-2000 et santé urbaine dans la ville de Yaoundé, 915 000 €, 1998-2001. Ces projets ont chacun pour but de réorganiser la complémentarité entre les hôpitaux centraux et les hôpitaux de districts avoisinants, mais aussi d'améliorer la gestion de ces établissements par des moyens matériels, et par l'acquisition de connaissances techniques et administratives de gestion.

Ces orientations, qui touchent différents niveaux de la pyramide sanitaire, s'inscrivaient donc à différents niveaux dans les priorités nationales, que ce soit celles exprimés dans le Plan national de développement sanitaire ou dans le Programme national de lutte contre le sida. Toutefois, la lente et difficile structuration de la politique nationale camerounaise, en multipliant les axes stratégiques et en oubliant de hiérarchiser ses priorités rendait la tâche facile à qui voulait justifier la cohérence de son projet avec la stratégie nationale.

On retiendra donc que si la politique de coopération de la France avait commencé à se rapprocher du cadre conceptuel de la politique sanitaire camerounaise, où elle avait identifié des aspects lui permettant de faire fructifier son expertise dans la gestion hospitalière. Essentiellement centrée autour de l'hôpital, elle n'avait que tardivement ressenti la nécessité de renforcer le processus de déconcentration par un renforcement des capacités des entités locales. Seul l'appui institutionnel dans les provinces aux différents niveaux de la pyramide répond davantage aux objectifs de la politique sanitaire d'accroître l'accès des populations aux soins de santé de base, d'augmenter la participation communautaire dans la gestion et le financement des districts de santé et de déconcentrer le système de gestion.

Après la mise en place du Plan national de développement sanitaire, l'affectation d'un budget plus important pour le secteur de la santé et la re-dynamisation des principaux programmes nationaux, le ministère de la santé camerounais a donc focalisé ses efforts sur le programme national de lutte contre le sida et la stratégie sectorielle santé, exercices demandés par le FMI et la Banque mondiale. Selon un calendrier similaire, la France opérait un recentrage de la coopération santé vers l'appui institutionnel et la politique nationale proprement dite à travers un projet d'appui au CNLS et un projet d'appui à la mise en œuvre de la stratégie sectorielle.

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L'IPPTE : un processus trop rapide et peu innovant

Afin de mieux comprendre l'impact de l'Initiative pays pauvres très endettés sur l'évolution de la politique nationale camerounaise (à la fois dans le document de stratégie et le Document stratégique de réduction de la pauvreté), nous reviendrons brièvement sur ce processus qui s'est développé pendant près de deux ans (2000-2002).

Déclaré éligible à l'Initiative PPTE en juillet 1999, le Cameroun s'est entendu avec ses partenaires bi et multilatéraux pour élaborer avant juin 2000 un Document stratégique de réduction de la pauvreté intérimaire (DSRP-I), une stratégie sectorielle dans les secteurs éducation et santé, et adopter un certain nombre de mesures (en matière de gestion budgétaire, gouvernance, arrangements institutionnels et comptables avec leurs créanciers, etc.) afin de pouvoir atteindre le point de décision de l'initiative (4). Procédant de l'esprit novateur apporté par cette initiative, l'ensemble du processus de rédaction du DSRP, cadre fondamental dans lequel s'insèrent normalement les politiques nationales, s'effectuait en collaboration avec la population.

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Processus participatif fragmenté et rédaction du DSRP

Les consultations participatives ont d'abord eu lieu en avril 2000 au moment de l'élaboration d'un DSRP intérimaire (terminé en octobre 2000), puis en janvier 2002 dans le cadre de la finalisation de ce document. Les premières consultations avaient pour but d'écouter « la voix des pauvres » sur leur perception de la pauvreté, les facteurs et causes qui les maintiennent dans cet état, et les améliorations pouvant être apportées. La deuxième série de consultations, quant à elles avait vocation à compléter et enrichir les profils régionaux de pauvreté à partir des résultats des consultations menées en avril 2000, informer les participants et recueillir leurs appréciations sur les actions et stratégies déjà développées afin de lutter contre la pauvreté, et enfin recueillir des suggestions d'amélioration du document intérimaire existant.

Le même type de critiques fut adressé par les observateurs internationaux et la société civile pour les deux séries de consultations : elles portaient essentiellement sur le manque de proximité de l'initiative avec le terrain et la volonté de la voir plus décentralisée, et surtout la précipitation et le manque de transparence (5) dans lesquels se déroulaient les consultations participatives. En fin de compte, la participation dont il a été question lors des consultations de la population était de nature « top-down », puisque non générée par la population elle-même, engendrant de ce fait un processus qui avait davantage trait à la circulation de l'information dans un double sens.

En outre, les réflexions menées sur l'organisation de ce dialogue se heurtaient aux réticences du gouvernement camerounais, habitué à une gestion centralisée des affaires publiques, et au manque de structuration de la société civile camerounaise. D'une part les limites à la délégation du pouvoir et des tâches dans un pays où la décentralisation, pourtant inscrite dans la constitution, se fait toujours attendre, ne facilite pas la mise en place de tels mécanismes. D'autre part, le nombre important d'organisations issues de la société civile et l'existence d'ONG unipersonnelles rendent difficile l'identification d'interlocuteurs pertinents.

Il ne s'est donc jamais vraiment agi d'un véritable travail en collaboration véritable, mais plutôt d'un exercice imposé réalisé pour pouvoir atteindre le point de décision, dans des conditions mélangeant vitesse et précipitation. Insistons toutefois sur le fait que l'artificialité de ce processus n'est sans doute pas particulier au Cameroun ni aux méthodes utilisées dans ce pays, mais qu'elle relève plus du calendrier extrêmement tendu imposé par les Institutions de Bretton Woods, où un certain nombre d'exercices devaient être menés pour valider des étapes obligatoires pour arriver au point de décision. Là encore, on retrouve le paradoxe auquel sont confrontés de nombreux pays en développement  obligés de se plier à un certain nombre de figures imposées selon un calendrier souvent pré-déterminé pour obtenir des financements, le pays s'exécute sans qu'une réflexion et une appropriation propres n'ait le temps de voir le jour.

Malgré tout, ces consultations ont été l'occasion de relever, par ordre de fréquence, une esquisse des préoccupations nationales en matière de lutte contre la pauvreté :

  1. le caractère primordial du rôle des infrastructures routières et des moyens de communication, en particulier pour le désenclavement des villages ;

  2. l'importance des secteurs santé et éducation/formation technique ;

  3. la mauvaise gouvernance d'une manière générale et la corruption en particulier ;

  4. l'importance de l'environnement dans la lutte contre la pauvreté et en particulier l'accès à l'eau potable, l'assainissement des rivières ainsi que la gestion forestière pour les régions concernées ;

  5. la nécessité de créer des unités de transformation de produits agricoles pour échapper aux fluctuations des cours mondiaux ;

  6. l'accent mis sur le faible niveau des salaires des fonctionnaires ;

  7. les revendications d'un soutien financier aux planteurs et aux agriculteurs, notamment pour la fourniture d'engrais, et le manque d'accès au crédit ;

  8. l'insuffisance de déconcentration/décentralisation au niveau des municipalités.

Il ressort donc de ces différents éléments que les faiblesses du processus participatif, à la fois dans son organisation par le gouvernement mais aussi dans son déroulement précipité, n'ont pas véritablement permis à la population de s'exprimer en profondeur sur les différentes questions. La contribution à la réflexion dans chacun des secteurs a donc de fait été limitée, le secteur de la santé n'échappant pas à la règle (cf. ci-après).

Après plusieurs versions, le document de stratégie de lutte contre la pauvreté (DRSP) au Cameroun a donc finalement abouti en juin 2002 à un cadre d'actions pour l'ensemble des secteurs d'application :

  • la politique mise en œuvre doit garantir une croissance équitable et durable supérieure à la croissance démographique, tout en contenant l'inflation ;

  • les ressources publiques doivent être réorientées en faveur des secteurs sociaux et économiques de base, en vue de renforcer la capacité des plus pauvres à produire et à améliorer leur propre bien-être ;

  • les ressources humaines doivent être utilisées de manière plus efficace afin de créer des opportunités ;

  • des actions spécifiques en faveur des femmes et des groupes structurellement vulnérables (enfants, personnes âgées, handicapés), ainsi que des régions désavantagées, doivent être engagées.

Sur le même rythme que la rédaction des différentes versions du DSRP, s'est déroulé le processus d'élaboration d'un document de stratégie sectorielle dans le secteur de la santé. Les rédactions des différentes versions des deux documents se superposent en effet (6), moins pour s'enrichir l'un l'autre que pour répondre aux différentes remarques et parer aux différentes critiques de la Banque mondiale et du FMI.

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La rédaction d'une Stratégie sectorielle de santé : un effet de dispersion, sans innovation

Satisfaisant à l'une des conditions nécessaires pour atteindre le point de décision de l'IPPTE, le Cameroun, par l'entregent du travail des mêmes personnes qui avaient rédigé le Plan national de développement sanitaire, a donc présenté la version finale de sa « Stratégie sectorielle de santé » en juillet 2002 (7) au cours d'un atelier national de validation. La lecture de ce document permet d'y voir davantage une déclaration d'intentions non hiérarchisées, sans véritable innovation par rapport à tous les documents élaborés auparavant, mêlant plutôt l'ensemble des concepts à la mode en santé publique, mais qui suffisait aux institutions de Bretton Woods pour valider cette conditionnalité.

Du diagnostic fourre-tout...

Le diagnostic réalisé lors de l'élaboration de la stratégie sectorielle révèle une longue liste de carences, qui valaient déjà au moment de l'élaboration du Plan national de développement sanitaire, puisque celui-ci n'a pas véritablement eu le temps d'être mis en œuvre :

  • faiblesse institutionnelle et réglementaire : le secteur public est géré de façon administrative et fortement centralisée, sans souci de l'efficacité du service rendu ; l'État n'a pas exercé suffisamment son rôle de régulateur permettant aux secteurs public et privé de se développer de façon complémentaire et solidaire ; le secteur public est faiblement utilisé, les budgets publics sont insuffisamment mobilisés et exécutés (budget d'investissement exécuté à hauteur de moins de 40%) ;

  • absence de normes dans certains domaines : l'insuffisance de régulation et d'encadrement du secteur pharmaceutique se traduit par une faible disponibilité et accessibilité au Médicament Essentiel Générique de qualité ; la multisectorialité n'a pas été mise en œuvre de façon efficace ;

  • mauvaise utilisation et gestion des ressources humaines, matérielles et financières : inégalités dans leur répartition, gestion peu rationnelle, déficit quantitatif et qualitatif, très faible équité du système de soins (70% du poids supporté par les ménages)

  • place très importante de l'activité informelle et faible utilisation des structures sanitaires publiques (le système de référence/contre référence est insuffisamment développé);

  • faiblesse importante dans la supervision, le suivi et l'évaluation systématiques des activités ;

... à un document sans grande consistance

Suite à ce diagnostic, qui relève d'ailleurs davantage de la description de la situation que de son analyse, le document de stratégie sectorielle déroule objectifs, axes stratégiques, programmes et sous-programmes, appliquant ainsi parfaitement le schéma d'élaboration théorique d'une politique sectorielle. Mais l'absence de véritable analyse de la politique précédente (par manque de données, de temps, de volonté politique ?), conduit en fait le document dans une dispersion de ses orientations : les programmes « prioritaires » appartenant à deux grandes catégories (programmes de lutte contre la maladie et programmes d'appui), se subdivisent en 29 autres sous-programmes, qui énumèrent un vaste ensemble de sujets touchant à tous les aspects d'un système de santé.

Articulation de la Stratégie sectorielle de santé (tableau)

La Stratégie sectorielle de santé constitue donc un document de stratégie, ayant besoin pour être opérationnelle de se décliner en documents de mise en œuvre de ses programmes et sous-programmes. Malheureusement à l'exception notable de certaines grandes endémies (sida, paludisme, tuberculose, etc.), ces documents de mises en œuvre tardent à être rédigés.

Beaucoup plus longue que le document de politique précédent (près de trois cents pages contre une cinquantaine pour le Plan national de développement sanitaire), la Stratégie sectorielle de santé pèche essentiellement par :

  • une absence de priorisation des programmes, qui, de surcroît, sont noyés par leur nombre et par le caractère essentiellement déclaratif (aucun schéma de mise en œuvre ou opérationalisation n'est proposé) ;

  • une difficulté d'articulation entre les programmes verticaux au niveau national, mais aussi, et plus encore au niveau des districts ;
    Loin d'améliorer le document précédent, l'exercice de réécriture d'une politique nationale sanitaire aboutit donc à une situation peu claire, mêlant comme le faisait le Plan national de développement sanitaire, concepts à la mode et déclarations d'intentions. Plus qu'une stratégie sectorielle il s'agit en fait à nouveau d'une document de stratégie ministérielle, limitant ainsi la portée des innovations et réformes possibles.

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La santé dans le DSRP : aucune innovation par rapport à la politique nationale

Rappelons que l'idéal théorique de ces nouvelles politiques de réduction de la pauvreté voudrait que l'ensemble des documents sectoriels s'insère dans le cadre général que constitue le DSRP. Ce dernier est en effet censé mettre l'accent sur les actions qui contribueraient le plus à la réduction de la pauvreté, tout en mettant l'ensemble des politiques sectorielles en cohérence dans un cadre budgétaire.

Le secteur santé dans le DSRP

Compte tenu des limites du processus participatif et du fait que la partie santé du DSRP fut rédigée par les auteurs de la Stratégie sectorielle de santé, il n'est pas étonnant de constater que le DSRP ne fait que reprendre un certain nombre d'orientations écrites dans la stratégie.

Alors que l'on se serait attendu à ce que les orientations retenues concernent les actions les plus directement tournées vers la lutte contre la pauvreté, elles constituent en fait une reprise des programmes les plus importants de la Stratégie sectorielle de santé (dans ce sens on peut en déduire qu'il s'agit là des priorités du gouvernement dans la santé). On retrouve en effet d'une part certains des programmes contre les grandes endémies (paludisme, VIH/Sisa, onchocercose, tuberculose, maladies non transmissibles), le Programme élargi de vaccination, la santé de la reproduction et les problèmes de nutrition, et d'autre part trois programmes « structurants » (amélioration de l'accessibilité aux médicaments essentiels, amélioration du financement de la santé grâce aux mutuelles de santé, et programme urgences, épidémies, catastrophes). On remarquera que ces derniers prennent particulièrement en compte le problème de l'accessibilité financière aux soins, et se trouvent donc plutôt destiné aux populations pauvres

Il est intéressant de noter que le DSRP intérimaire était encore plus bref sur les actions à mener dans le domaine de la santé ; il ne faisait référence qu'aux objectifs de la première version de la Stratégie sectorielle de santé. Or, le DSRP final, qui fut rédigé après l'atteinte du point de décision, donc après la mise en œuvre des premiers projets financés sur fonds PPTE, est plus précis puisqu'il peut reprendre la plupart des domaines dans lesquels des projets ont déjà été élus au financement PPTE. S'il est difficile de retrouver la chronologie exacte des événements (les projets présentés au financement PPTE avaient-ils déjà été clairement identifiés comme des axes prioritaires de lutte contre la pauvreté ou s'agissait-il des actions les plus rapides à mener ?), il est certain que la version finale du DSRP aura en partie été influencée par ces choix, ne serait-ce que pour reconstruire une cohérence a posteriori.

On notera enfin que pour les programmes n'ayant pas fait l'objet de projets financés sur PPTE avant la rédaction du DSRP final, ce dernier reste assez vague sur la nature des actions à mettre en œuvre.

Quelques actions dans le domaine de la santé selon le DSRP (annexe)

L'impression finale laissée par le contenu du secteur santé du DSRP et les différentes versions de ce document, est donc celle d'un processus de learning-by-doing hésitant, évoluant non pas au fil des analyses mais au gré des événements et ultimatums.

Une prise en compte très marginale de la pauvreté

L'accent mis sur la lutte contre la pauvreté et l'instauration du processus participatif, censé favoriser la prise en compte des besoins spécifiques de la « majorité silencieuse » de la population aurait dû influencer le contenu du volet santé du DSRP. En fait, aucun bilan des politiques antérieures n'a été fait, alors que de vraies consultations participatives approfondies auraient dû soulever le problème du système de recouvrement des coûts dans le système de santé, et de l'exclusion d'une partie non négligeable de la population qu'il induit. Or, il y a un lien très clair entre lutte contre la pauvreté et système de recouvrement des coûts, qui, en l'état actuel, exclut une partie importante de la population du système de soins de santé. Certes, des mesures sont envisagées dans le DSRP pour améliorer l'accessibilité financière (diminution du prix des médicaments essentiels ; mise en place de mutuelles de santé), mais rien n'est prévu pour la partie « non solvable » de la population, et aucun mécanisme de protection ou d'assurance sociale n'est par exemple évoqué.

L'analyse des DSRP menée par J-P Cling, M. Razafindrakoto et F. Roubaud fin 2001 souligne que « dans la majorité des cas il s'agit d'une simple reprise des politiques antérieures avec des ajustements à la marge pour établir le lien avec la pauvreté » (8). On ne peut que reprendre ce constat en ce qui concerne la place faite à la santé dans le DSRP camerounais. La Stratégie sectorielle de santé y est en effet reprise en partie et le lien avec la pauvreté n'est pas forcément évident pour de nombreux programmes de lutte contre la maladie : « Concernant la lutte contre la maladie de façon générale, la volonté des autorités camerounaises est de réduire la charge morbide globale due aux maladies transmissibles, jusque-là fortement prédominantes dans le pays. (…) Cette politique permettra de combler l'énorme gap de croissance économique engendré par une lourde charge de morbidité provenant particulièrement de quelques maladies infectieuses (paludisme, VIH/sida, tuberculose, onchocercose etc.) connues comme les maladies de la pauvreté. Le contrôle de ces maladies permettra de libérer le potentiel de productivité du facteur travail, poussant de ce fait plus loin la frontière des possibilités de production, avec pour résultat un accroissement significatif du taux de croissance économique. » Même si elle est souvent employée l'expression « maladies de la pauvreté » est pour le moins maladroite ne serait-ce que pour le paludisme et le VIH-sida. Par ailleurs, il n'est pas évident que la lutte contre ces maladies empêche les franges les plus pauvres de la population de tomber dans le « cercle vicieux » de la pauvreté : tomber malade peut en effet obliger à faire un emprunt, vendre un bien qui peut être aussi un outil de production domestique, ou encore se priver de certaines consommations (affaiblissant ainsi l'organisme), etc. pour pouvoir financer les soins nécessaires ; pour les plus démunis, ce phénomène constitue un engrenage dont il est difficile de sortir, car il incite plutôt à repousser les soins dans le temps et donc souvent à aggraver l'état de santé. Plus que des actions sur les traitements même il s'agit donc d'avoir des actions sur l'accès aux soins, et en amont des actions de prévention.

Une politique de réduction de la pauvreté contradictoire : la mise au pas financière

Suivant le canevas tissé par les institutions de Bretton Woods, le DSRP renferme un paradoxe important, déjà souligné de façon générale par P. Habbard (9) : construit sur quatre « piliers » (cadre de stabilité macro-économique, développement des opportunités pour augmenter le revenu des ménages, renforcement des secteurs sociaux, développement institutionnel et bonne gouvernance), le DSRP renferme souvent une contradiction entre « les objectifs de contrôle des dépenses publiques et l'appui aux secteurs sociaux ». Cette tension est particulièrement forte au Cameroun, puisque le cadrage macro-économique du DSRP a poussé le ministère de la Santé publique à mener une révision à la baisse du financement de sa stratégie, et donc de ses objectifs. Ainsi, le DSRP précise la méthodologie du cadrage budgétaire des secteurs, parmi lesquels la santé : « dans un premier temps, les ministères sectoriels ont chiffré leurs stratégies à l'aide d'un instrument de programmation. Ce cadrage (dit « ODM ») indique le coût requis pour mettre en place des programmes/projets afin d'atteindre les objectifs décrits ci-dessus. Ces travaux mettent également en évidence l'existence de gap de financement par rapport aux ressources internes et externes disponibles dans le cadre budgétaire du DRSP. Dans un second temps, les ministères sectoriels ont donc révisé leur scénario (avec le ministère des Finances) pour le mettre en cohérence avec les ressources dégagées dans le scénario central du DSRP et affectées dans le CDMT comme décrit précédemment. La diminution des enveloppes budgétaires disponibles a eu pour conséquences la révision des projets et programmes et des objectifs initiaux. Par construction, ce scénario (dit « DSRP ») « n'admet plus de gap de financement ».

Scénario de cohérence entre la stratégie sectorielle de la santé et les hypothèses macro économiques du DSRP : impact sur les objectifs (tableau)

La mise en place d'un nouveau cadre de politique de développement, basé sur la réduction de la pauvreté, n'a donc pas véritablement eu d'impact majeur sur la politique sanitaire camerounaise. Les carences du processus participatif, la faiblesse de la formalisation de la politique nationale et les contraintes imposées par les modalités du processus lui-même (calendrier et finances) n'ont permis ni innovations, ni réorientations. Mais si ce processus en lui-même n'a pas apporté de véritable changement pour la formalisation de la politique camerounaise, il a induit pour la politique de coopération française d'importantes modifications pour la suite, la France ayant assisté en témoin attentif à ces événements.

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L'impact de l'initiative sur la politique de coopération de la France : rupture et continuité

La partie de l'initiative qui vient d'être présentée est l'Initiative multilatérale car elle est réalisée grâce à la coordination de l'ensemble des bailleurs, sous l'influence essentielle des Institutions de Bretton Woods. En plus des allègements accordés dans le cadre de l'IPPTE multilatérale, les bailleurs bilatéraux, dont la France, ont décidé d'accroître leur effort d'annulation de dette. Cette partie de l'initiative, qui commence une fois le point d'achèvement atteint sera l'occasion pour la France de remettre sa dette dans le cadre d'un Contrat de désendettement et de développement (C2D), précisant les modalités de refinancement, sous forme de dons ainsi que les programmes de lutte contre la pauvreté financés sur la remise de dette bilatérale. Il s'agit donc de voir d'une part comment cette dynamique française s'est inscrite en relation avec les actions conduites jusque là par la coopération française et d'autre part quels problèmes particuliers le contexte camerounais peut soulever.

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Une évolution qui était en cours : la coopération institutionnelle

Poursuivant sa mise en cohérence avec la politique nationale camerounaise, les interventions de la France à travers ses instruments classiques (Fonds de solidarité prioritaires) achèvent donc de se réorienter pour appuyer plus directement la politique nationale de santé. Les deux projets en cours sont en effet marqués :

  • par une poursuite du travail dans les provinces. Les actions menées et les outils élaborés pour la gestion et la supervision de la politique sanitaire du district grâce au précédent projet « Santé Nord » ont conduit à poursuivre l'appui au niveau périphérique en l'étendant sur l'ensemble des provinces du Grand Nord. Chacun des volets du programme central (politique du médicament, ressources humaines, information sanitaire) est ainsi déroulé au niveau intermédiaire (province) et opérationnel (district) dans les trois provinces septentrionales. Ces actions, qui plus est effectuées dans trois des provinces les plus pauvres du pays, permettent donc de se maintenir dans l'optique de déconcentration affichée par la politique nationale ;

  • par l'extension de l'expertise développée dans les secteurs inscrits dans le DSRP. Dans la province du littoral les précédents soutiens aux domaine de l'urgence et de la formation entamées avec le projet Appui à la santé urbaine de Douala sont poursuivis, tandis que le projet « Appui à la lutte contre les MST, le VIH-sida et la tuberculose dans les provinces du Cameroun » met en œuvre des programmes analogues à ceux déjà menés dans les projets précédents mais au niveau des 10 provinces. Ce projet permet donc également de renforcer les capacités des niveaux déconcentrés du système dans l'organisation, la supervision des réseaux de districts sanitaires opérationnels pour la lutte contre les MST, le VIH-sida et la tuberculose.

  • et surtout par un appui institutionnel d'aide à la mise en œuvre de la politique nationale. Paradoxe : cet appui est surtout l'œuvre du « Projet d'appui à la mise en œuvre de la stratégie sectorielle de santé », qui, de façon a priori paradoxale, renforce le niveau central pour mieux aider à la déconcentration du système. La réorientation vers les hôpitaux de districts et les soins de santé de base nécessite en effet des interventions focalisées au niveau central, à travers des actions plus ou moins nouvelles : politique du médicament, gestion des ressources humaines, observatoire de la santé en appui aux grands programmes et à la gestion du système de santé. Inscrit en programmation 2002, le projet « Appui à la mise en œuvre de la stratégie sectorielle de la santé au Cameroun » donne la priorité au renforcement institutionnel au sein des directions du ministère de la Santé. D'un montant d'un million d'euros, il vise à faciliter la mise en œuvre de la Stratégie sectorielle santé sur l'ensemble du territoire.

Mis en œuvre parallèlement au redéploiement du personnel d'Assistance technique (déclin au sein de l'Hôpital central et recentrage sur le ministère), ce dispositif permet donc de préparer les futures interventions de la coopération française dans le cadre du C2D, en offrant une position idéale pour suivre l'évolution de la mise en œuvre de la politique nationale, et ainsi repérer ses principales faiblesses pour agir sur elle. Parallèlement, le projet « Appui à la lutte contre les MST-sida-tuberculose » assure la continuité de l'action française dans ce domaine, à travers un soutien institutionnel au CNLS, et des actions sur l'ensemble du territoire.

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Le Contrat de désendettement et de développement : un passage à une autre échelle avec risque de dispersion

Le Contrat de désendettement et de développement (C2D), lorsqu'il sera signé, représentera un changement de nature dans le type d'aide accordée par la France au secteur sanitaire camerounais du fait de son montant et de sa durée dans le temps. Au niveau national, tous secteurs confondus, le premier C2D, d'une durée de trois ans, représenterait une enveloppe d'environ 300 millions d'euros. La santé faisant partie des cinq secteurs d'intervention prioritaire identifiés comme secteurs de concentration de l'aide française pour la remise de dette bilatérale, elle devrait, au Cameroun, recevoir une partie importante de l'enveloppe.

Changement des montants financiers en jeu et du cadre de coopération

Bien que les montants financiers ne soient pas encore officiellement arrêtés, le C2D santé devrait consister entre autres en une aide budgétaire ciblée d'environ 75 millions d'euros pour trois ans, situant ainsi la France comme le plus gros intervenant dans ce secteur. Non seulement le montant de ce premier contrat rendrait l'appui français totalement surdimensionné par rapport aux précédents instruments classiques (plus de 10 fois le montant représenté par les projets ces douze dernières années), mais en plus la perspective de trois C2D triennaux consécutifs positionne cet appui dans une perspective certaine de longue durée. La nature et les modalités de mise en œuvre des activités devraient donc s'en trouver modifiées.

Les modalités d'utilisation de cet instrument financier et de sa mise en oeuvre restent encore à préciser. Il pourrait s'agir d'un appui budgétaire, affecté sur des lignes d'investissement, de fonctionnement ou de crédits délégués déjà existantes, sur une base nationale ou régionale. Toutefois, le décaissement annuel de l'aide budgétaire devrait être conditionné à la mise en œuvre opérationnelle de la stratégie sectorielle et des réformes qui la composent, avec des indicateurs de processus. Enfin, un certains nombre de questions non résolues révèle les bouleversements qu'implique le C2D pour le mode d'intervention français : quel sera le rôle de l'assistance technique dans la mise en œuvre du C2D ? La gestion de celui-ci ou de certains de ses volets sera-t-elle confiée à des cabinets privé, avec qui la contractualisation paraîtrait plus flexible ?

Multiplicité des idées avant, appui multiples dans domaines pas forcément maîtrisés

La nature des actions à mener a donné lieu à diverses missions d'identification ; les interventions françaises ont pour obligation de s'inscrire dans la politique sectorielle, mais comme celle-ci n'est pas hiérarchisée, la recherche des leviers ayant l'effet multiplicateur le plus grand pour le système est difficile. De nombreuses propositions ont été envisagées (développement des capacités centrales et déconcentrées de planification, d'administration et de pilotage ; soutien aux initiatives de la société civile en faveur d'une meilleure gouvernance du système sanitaire et social ; développement au niveau déconcentré du fonctionnement systémique du secteur ; participation à la finalisation du système national d'information sanitaire ; amélioration de la gestion des établissements et des structures afin d'établir une tarification des médicaments, des actes et des services ; amélioration de la représentation et de la participation des populations dans les structures de dialogue ; amélioration de la gestion des ressources humaines ; réduction significative des disparités et des inégalités sociales régionales dans l'accès à la santé, etc.), qui n'allaient pas toutes dans la continuité de la réorientation de l'intervention française. Il était donc difficile d'identifier des actions qui avaient des objectifs aussi larges que « faire évoluer dans le bon sens les points faibles du système de santé, et atteindre l'objectif d'amélioration de la santé de l'ensemble de la population ».

Finalement, l'aide budgétaire ciblée dans la santé pourrait se décomposer de la façon suivante :

  • consolidation de l'offre de soins dans 4 provinces (3 du septentrion et celle du sud) : autour de 50% ;

  • appui à la contractualisation avec le secteur privé non lucratif : entre 15% et 20% ;

  • lutte contre les grandes endémies (programme élargi de vaccination, sida) : autour de 10%

  • Fonds d'étude en appui à la préparation de la réforme hospitalière : autour de 1,5% ;

  • appui aux aspects gestionnaires et organisationnels : autour de 20%.

On remarque donc :

  • que le premier C2D reprendrait les domaines dans lesquels la France s'était repositionnée (appui gestionnaire et organisationnel au niveau central, et appui aux trois provinces du Nord) ;

  • qu'il incorporerait les domaines d'intervention traditionnels au Cameroun (appui à la réforme hospitalière, même si celui-ci peut sembler « symbolique », et appui à la lutte contre le sida) ;

  • qu'il incluerait enfin des éléments nouveaux : l'appui à la contractualisation public-privé, l'intervention dans la province du Sud, ainsi que le volet « financement de la santé » à travers la mise en place de mutuelles de santé des appuis organisationnels et gestionnaires.

En somme, à l'exception de l'un des axes d'intervention (contractualisation), les actions françaises ont essentiellement privilégié la continuité par rapport à des activités passées plutôt que des innovations concernant par exemple le soutien à des aspects plus proches de l'esprit de l'initiative (soutien des populations par exemple). En dehors de projets soutenus dans le cadre du Fonds social de développement, aucune initiative ne vise directement à soutenir des initiatives de la société civile ou de communautés locales. L'une des innovations que devrait pouvoir apporter le C2D serait précisément d'être un outil puissant de renforcement des capacités techniques des acteurs de la société civile, qui dans la plupart des situations sont les mieux à même de trouver les solutions adéquates de lutte contre la pauvreté des populations. L'appui à la mise en place de mutuelles de santé prévu dans le cadre de l'amélioration du financement de la santé (axes gestionnaires et organisationnels) constituerait dans le premier C2D santé la seule tentative de toucher directement les populations au moins partiellement exclues des soins. Ne faut-il pas envisager dans le cadre des futurs C2D d'autres types d'innovations des interventions françaises qui s'inscrivent dans la lutte contre la pauvreté ?

Enfin, le changement de l'échelle d'intervention pourrait induire des problématiques dans la gestion et le suivi des programmes que ne connaissait pas jusque là la coopération française. Quelle rôle aura l'assistance technique dans la mise en œuvre de ces programmes ? Le recours à des cabinets d'experts chargés du suivi de certains programmes pourrait-il être généralisé au détriment de l'assistance technique long terme ? Quels seront les rôles respectifs des Services de coopération et d'action culturelle, des agences locales de l'Agence française de développement et de l'assistance technique ? Autant de questions qui mettent en jeu la nature de l'intervention française et dont les réponses préciseront les priorités du système de coopération français (rapidité de décaissement ? transfert de compétences et accompagnement dans le changement, donc processus de longue haleine ? quelle efficacité pour les actions menées ? etc.).

Par ailleurs ces questions se posent au regard des difficultés qui pourraient être rencontrées dans le domaine de la santé, comme suggérées par la mise en œuvre de la stratégie sectorielle et des projets financés sur PPTE.

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Les risques pour le Cameroun : capacités de changement et d'absorption

Bien qu'il existe plusieurs points favorables quant au rythme de mise en œuvre de la stratégie sectorielle de santé (publication récente du nouvel organigramme du MINSANTE ; signature de conventions public/privé -entreprises ou confessionnel- dans le cadre de la lutte contre le sida ; parution du texte fixant la tarification des médicaments), certaines évolutions structurelles fondamentales attendues traînent toujours :

  • la prise en compte effective du secteur confessionnel et privé pour assurer une complémentarité entre les deux réseaux de formations sanitaires ;

  • l'élaboration de stratégies pour lever les difficultés persistantes en matière de ressources humaines (carrière, affectation, formation continue) ;

  • l'intégration des soins pour faire face à la faible pénétration des programmes prioritaires sur le terrain ;

  • le financement de la santé : aucune véritable action n'est entamée ni du côté de l'offre ni du côté de la demande de soins (faible dynamique sur les mutuelles de santé au cours des dernières années, pas de réflexion sur la tarification des soins et actes, ni sur la mise en place de forfaits).

Ces questions figuraient déjà toutes comme des axes stratégiques dans le Plan national de développement sanitaire, et il ne faudrait pas qu'elles continuent à rester lettre morte.

De façon presque parallèle, l'élection des premiers programmes financés sur fonds PPTE multilatéral pendant la période intérimaire laissent augurer des difficultés.

Depuis le début de la période intérimaire, 18 projets dans le domaine de la santé ont été déclarés éligibles pour un montant de presque 25 milliards de FCFA (env. 38 millions d'euros). Ces programmes répondent globalement aux objectifs santé du DSRP et s'inscrivent effectivement dans la stratégie sectorielle de la santé, connaissent de sérieux problèmes quant à leur mise en œuvre : ainsi, à la mi-novembre 2003, seulement 21% environ des crédits disponibles pour ces projets étaient consommés. La mise en œuvre du processus d'exécution des projets connaît à l'heure actuelle des retards expliqués par certaines faiblesses de la procédure de validation des projets ainsi que des difficultés d'ordre institutionnel et comptables. Mais une partie de ce retard tient aussi au manque de préparation des maître d'œuvre des projets (pour l'essentiel le ministère de la Santé publique), de leur faible capacité à construire, puis mettre en œuvre des projets.

Enfin, au moment où surviennent l'ensemble des décaissements liés à l'initiative PPTE, parviennent d'autres sources de financements extérieurs dont bénéficie le Cameroun : acceptation de la requête camerounaise au Fonds mondial sida-tuberculose-malaria, Fonds GAVI et financements UNICEF pour la vaccination. Non seulement l'arrivée de ces financements pose le problème des capacités d'absorption et de mise en œuvre du système de santé camerounais, mais il pourrait soulever un risque de chevauchement des financements extérieurs, d'autant plus délicat que les circuits budgétaires camerounais peuvent être sujets à questions, et surtout un risque de substitution financière sur certains programmes essentiels et récurrents (notamment la vaccination).

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Conclusion

Le Cameroun est sûrement semblable à un ensemble de pays en développement, allant d'un sommet international à une conférence au sommet en passant par une initiative multilatérale, produisant à chaque fois les documents requis pour accéder aux financements, qui se succèdent sans toutefois offrir de continuité ou de cadre cohérent. Le processus en cours s'inscrit dans la continuité des réformes entreprises sous l'inspiration et l'impulsion des bailleurs de fonds, Organisation mondiale de la santé pendant longtemps, FMI et Banque mondiale à présent. Mais cette fois, le poids de ces derniers est particulièrement accru par le processus d'annulation et de remise de dette en cours, utilisé comme un moyen de réorienter les dépenses publiques vers les secteurs sociaux.

Malheureusement ce nouveau cadre pour les politiques de développement contient toujours le même type de limite, à savoir que les réformes sont fondamentalement impulsées de l'extérieur dans un temps très restreint, et que leur appropriation risque d'être d'autant plus ardue.

Alors que son action avait longtemps été marquée par une nette distance vis-à-vis des principaux enjeux et réformes du secteur de la santé, la France semble profiter de ce nouveau cadre de coopération pour achever de réorienter ses outils en appui à la mise en œuvre de la politique nationale. Avec l'enjeu financier qu'il représente, le C2D pourrait s'avérer être un important levier de mise en place de réformes fondamentales pour le secteur de la santé au Cameroun, qui tardent à venir depuis trop longtemps. Mais les capacités de l'administration camerounaises à mettre en œuvre ces réformes et à absorber les financements d'une part et les nouvelles modalités de mise en œuvre des C2D (non encore arrêtés) d'autre part, restent des questions cruciales auxquelles il faudra apporter une réponse adéquate au risque de mettre en danger l'efficacité de ce nouvel instrument de la coopération française. Finalement, puisqu'il s'inscrit dans la durée et qu'il est destiné à dégager des fonds pour lutter contre la pauvreté ce nouvel instrument pourrait être l'occasion d'accompagner le Cameroun dans une vraie réflexion sur le secteur de la santé (et non celui de la médecine), visant à définir et mettre en œuvre les actions prioritaires qui permettent de lutter le plus efficacement possible contre la pauvreté par son intermédiaire.

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NOTES

(1) L'accroissement de la population entre 1987 et 2000 est estimé à env. 2,5% en moyenne par an (OMS). revenir

(2) Le resserrement de la contrainte budgétaire ayant évidemment une incidence directe sur le système notamment par l'intermédiaire des ressources humaines : ainsi entre 1993 et 2003, les effectifs du personnel du MSP sont passés de env. 17 000 agents à 12 000 env. agents , tandis que la population s'accroissait… revenir

(3) Premier stade de la décentralisation, elle consiste en « la création d'un ou plusieurs niveaux administratifs supplémentaires dotés d'un pouvoir gestionnaire » (Anne Mills et al. La décentralisation des systèmes de santé, concepts, problèmes et expériences dans quelques pays, OMS, Genève, 1991). Dans le cas du système de santé, elle touche le développement et/ou le renforcement d'unités administratives locales (Directions provinciales de Santé, Districts de santé). revenir

(4) Ceci permet le démarrage du traitement des échéances de la dette (donc les flux), pendant la période dite « intérimaire » qui se termine avec l'atteinte du point d'achèvement. Ce dernier, également lié à un certain nombre de conditions, marque le début du traitement du stock de la dette. revenir

(5) La question de l'acheminement des fonds PPTE fut plusieurs fois posée : les équipes de facilitateurs a été souvent soupçonnée par la population d'éluder cette question primordiale. Des manœuvres ont parfois été remarquées dans la sélection des personnes pouvant assister aux consultations : non seulement les populations étaient presque systématiquement prévenues la veille pour le lendemain, ce qui empêchait les populations les plus éloignées (et les plus revendicatrices) de venir en masse, mais les invitations se sont aussi souvent avérées sélectives. Enfin, dans certaines régions sensibles (notamment les provinces de l'opposition politique : Extrême-Nord et Nord-ouest) les dates et lieux des consultations ont souvent tellement tardé à être communiquées aux experts internationaux, que ceux-ci ont éprouvé des difficultés pour aller s'y rendre (cas de la coopération française). revenir

(6) Chacun des documents a en effet connu plusieurs versions : juin 2000 pour les premières, puis octobre 2001 pour la 2e version de la Stratégie sectorielle santé et enfin juillet 2002 pour les deux dernières versions. revenir

(7) La première version intérimaire de la Stratégie sectorielle de santé, avait en fait été présentée comme demandé par les Institutions de Bretton Woods en juin 2000, au même moment que le DSRP intérimaire. revenir

(8) "Élaboration, mise en œuvre et contenu des DSRP : portée et limites", in Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté, Cling et al., DIAL-Economica, Paris 2002. revenir

(9) Les processus d'élaboration des Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté, in Cling et al., op. cit. revenir

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Commentaires
A
très intéréssant ces études merci beaucoup pour votre blog!
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ETUDES CAMEROUNAISES
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